Interview dans Alma & Georges, le magazine de l’Université de Fribourg avec le Professeur Berno Büchel et Yann Costa, diplômé Bachelor et étudiant dans cette nouvelle filière
« L’analyse de données est devenue incontournable dans l’économie »
Alors que de plus en plus de données sont disponibles sur le comportement des consommateurs et des entreprises, l’analyse de ces données est devenue un enjeu majeur de l’économie. Dans ce contexte, l’Unifr lance un master inédit en data analytics & economics. Lever de voile en compagnie de son pilote Berno Buechel et de son premier étudiant, Yann Costa.
Pourquoi avoir mis sur pied un cursus de master combinant l’analyse de données aux théories économiques d’analyse du marché et des entreprises?
Berno Buechel: Le monde est en plein changement. Deux grands trends se démarquent. D’une part, de plus en plus de données sont disponibles sur le comportement des consommateurs et des entreprises, et il existe des techniques de plus en plus perfectionnées pour analyser ces données. D’autre part, les structures de marché connaissent une mutation radicale en raison du nouveau rôle des plateformes en ligne. Ce double développement a bouleversé la façon dont fonctionnent de nombreuses entreprises. Prenez l’exemple des plateformes de réservation. Elles modifient à la fois notre façon de préparer nos vacances et la façon dont les établissements touristiques gagnent de l’argent. Or, peu de professionnels sont capables de comprendre les deux aspects sous-jacents, l’analyse de données et l’économie. D’où ce projet de Master en data analytics & economics.
Généralement, ces deux branches sont donc cloisonnées?
Berno Buechel: Pas complètement. Parmi les économistes, il y a certes une tradition d’analyse de données. Mais ce qui manque à ces économistes, c’est la faculté de programmer eux-mêmes et de faire face à des quantités de données beaucoup plus importantes que celles auxquelles ils sont habitués. A l’inverse, les spécialistes émanant de l’informatique et de la data science manquent souvent de connaissances économiques. La combinaison des deux est rare. Or, du côté des entreprises, on observe une demande en ce sens; elles engagent, certes, les deux types d’experts, mais ont parfois de la peine à les faire cohabiter.
Comment le cursus a-t-il été élaboré?
Berno Buechel: L’inspiration principale est venue de plusieurs universités américaines de renom. Constatant qu’aucun programme similaire n’existait en Suisse, des membres du Département d’économie politique de l’Unifr sont allés trouver leurs collègues du Département d’informatique. Rappelons qu’à Fribourg, nous avons la chance de pouvoir compter sur une grande expertise dans les deux domaines. A commencé un processus d’environ deux ans durant lequel le programme des cours a été élaboré.
En Suisse, l’association entre data analytics et economics est donc une première
Berno Buechel: En effet! D’autres établissements offrent des cursus alliant analyse de données et perspective managériale. Dans notre cas, l’angle est différent et inédit: il s’agit d’une perspective «économie de marché et des organisations».
Pouvez-vous donner quelques informations pratiques sur ce master?
Berno Buechel: Le Master en data analytics & economics de l’Unifr démarrera en septembre 2020 avec un premier groupe d’étudiant·e·s, comprenant Yann Costa. Divers backgrounds donnent accès à cette formation, dont les deux voies naturelles, à savoir les bachelors en économie et en informatique. Les étudiant·e·s issus de l’une de ces disciplines devront logiquement travailler un peu plus intensivement dans l’autre. Le critère d’admission principal est la motivation à apprendre; nul besoin d’être quelqu’un qui bidouille avec des ordinateurs dans son garage depuis sa plus tendre enfance… (Rires)
Yann Costa, vous êtes le premier étudiant à vous être inscrit au master en data analytics & economics; quel est votre profil?
Yann Costa: J’ai terminé en 2019 un Bachelor en gestion d’entreprise à l’Unifr. Parallèlement, je me suis toujours intéressé aux nouvelles technologies et aux entreprises actives dans ce secteur. Mais je n’ai jamais eu envie de me spécialiser en informatique, car je suis plus doué derrière un ordinateur que le nez dedans. (Rires) Ce sont plutôt les modèles d’affaires des entreprises, ainsi que les possibilités offertes par la technologie en matière de nouvelles solutions, qui me passionnent. Ce master constitue, à mon avis, la formation idéale pour quelqu’un qui souhaiterait travailler dans la partie stratégique et opérationnelle d’une entreprise technologique.
D’où est parti votre intérêt pour cette formation?
Yann Costa: J’ai lu un article de la société de conseil McKinsey consacré à un nouveau métier émergent, à savoir data translator (traducteur de données). L’article estimait à 4 millions le nombre d’emplois créés d’ici 2026 sur le marché américain, en expliquant que cette tendance haussière allait aussi concerner l’Europe. Quand j’ai vu que l’offre de l’Unifr correspondait exactement à ce métier, je n’ai pas hésité. D’autant que la brochette d’enseignant·e·s est très alléchante. A mon avis, d’ici 10 ans, travailler dans l’économie sans connaissances dans l’analyse de données sera l’équivalent de ne pas savoir utiliser une boîte mail en 2010.
Quel serait pour vous l’emploi idéal après votre master?
Yann Costa: Justement faire le pont entre deux équipes et transformer les données d’une entreprise en solutions utiles, histoire qu’elles ne dorment pas dans un ordinateur. D’autant plus si ces solutions tendent vers le développement durable.
Berno Buechel: La motivation du programme était justement de se demander quel est le besoin des entreprises. Attention, cela ne se limite pas aux grandes entreprises! Pensez à une structure telle que Comparis. En raison de son action, les grandes compagnies d’assurance sont obligées de changer leurs pratiques. Notre master ne s’adresse donc de loin pas seulement aux étudiant·e·s qui rêvent d’intégrer des multinationales technologiques.
Yann Costa: Je pourrais comprendre qu’un étudiant hésite à choisir ce master par peur de contribuer à faire gagner encore plus d’argent à des big compagnies. J’ai envie de leur dire: à l’inverse, c’est une raison de plus pour se lancer! En effet, si elles veulent avoir une chance de concurrencer les grands groupes, les PME doivent être en mesure de comprendre et d’exploiter le potentiel des données.
Peut-on envisager que certain·e·s futur·e·s titulaires du master travaillent pour des ONG ou pour le service public?
Berno Buechel: Absolument! Dans le cas du service public, on peut notamment citer les autorités de la concurrence. Car qui dit changement du marché, dit changement de la régulation du marché. Est-il acceptable qu’une plateforme de réservation touristique force les hôtels à offrir leur meilleur tarif en ligne?
Reste qu’à l’ère du big data, la question de la protection des données est sur toutes les lèvres. Allez-vous thématiser cet aspect?
Berno Buechel: Oui, il est très important de rappeler que les données ne peuvent pas être traitées à la légère. Il y a des questions éthiques, juridiques et techniques liées. Prenez le cas d’un hôpital: comment utiliser les données de patient·e·s pour faire avancer la recherche sans pour autant en apprendre trop sur ces patient·e·s? Il existe justement de nouvelles solutions technologiques intéressantes qui peuvent aider à résoudre ce paradoxe.
On associe encore souvent technologie et masculinité. Comment faire en sorte d’assurer la mixité des participant·e·s au master?
Berno Buechel: Il n’y a aucune raison pour laquelle les hommes devraient être davantage attirés par la technologie! Nous souhaitons lutter contre ce stéréotype et encourageons vivement les femmes à s’inscrire au master. A condition bien sûr qu’elles soient intéressées et motivées. C’est d’ailleurs pourquoi nous avons choisi de faire figurer une femme plutôt qu’un homme sur notre flyer de présentation.
Auteure: Patricia Michaud, Journaliste indépendante